Les hommes de Yellowknife sont présentement appelés à passer à la prochaine étape, et à mener des actions concertées pour combattre les violences sexuelles faites aux femmes.
L’hôte de la soirée ne s’attendait pas à un tel succès : une trentaine d’hommes s’est présentée le jeudi 10 septembre, 20 h, à l’évènement, certains se heurtant ainsi à une salle au maximum de sa capacité. Les participants ont passé plus d’une heure à échanger, à écouter, et à faire face ensemble à une réalité qu’ils ne veulent plus nier : nombre de femmes ne se sentent pas en sécurité aux Territoires du Nord-Ouest.
Il y a un certain temps que Jay Boast songeait à organiser ce type de rencontre. Durant ses 13 années passées aux TNO, plusieurs témoignages l’ont amené à se poser des questions sur les déclinaisons les plus subtiles de la violence sexuelle subie par les femmes. « J’en ai beaucoup discuté autour de moi : notre collectivité n’est pas aussi sécuritaire qu’elle devrait l’être. C’est un grave problème et on doit s’en préoccuper », a-t-il résumé, en entrevue avec Radio Taiga.
Une culture toxique
C’est une missive de la Ténoise Nancy MacNeill, publiée sur Facebook à la fin aout – partagée 76 fois à ce jour – qui a fait émerger le mouvement. Dans cet appel à l’action, la résidente de Yellowknife somme les hommes du territoire à se regrouper, dans le but de s’attaquer à une culture de masculinité toxique solidement ancrée. « Les personnes ne se sentent pas en sécurité ici. Et ces personnes ne sont pas en sécurité. Ça doit changer », résume-t-elle, pointant les traumatismes vécus dans nombre de relations amoureuses.
Plusieurs hommes seraient bien conscients, selon M. Boast, de cette insécurité ambiante aux TNO. Dans certains cas, ils savent qu’ils font même partie du problème. « On sent parmi les hommes beaucoup de honte, un sentiment de culpabilité. Je crois que plusieurs d’entre eux se sentent un peu démunis et ne savent pas quoi faire pour faire évoluer les choses. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas suffisamment agi pour remédier à la situation. C’est pourquoi, encore aujourd’hui, les femmes ne se sentent pas en sécurité. »
Statistiques Canada a publié en aout les résultats de la toute première enquête sur les violences sexuelles subies au sein des territoires canadiens, menée en 2018. Les résultats démontrent qu’environ la moitié des femmes de 15 à 24 ans (48 %) et de 25 à 34 ans (50 %) des territoires ont été la cible d’au moins un comportement sexuel non désiré dans un espace public, au cours des 12 mois précédant l’enquête. Aux Territoires du Nord-Ouest, 38 % des femmes (tous groupes d’âge confondus) ont déclaré avoir subi au moins un comportement sexuel non désiré dans un espace public en 2018.
Des stigmates bien ancrés
Ces chiffres n’étonnent pas William Greenland. Thérapeute traditionnel au Centre de guérison de Yellowknife, il est lui-même issu d’un milieu familial marqué par l’alcool et la violence, qu’il aura lui-même adopté pour une partie de sa vie. Il s’affaire aujourd’hui à aider les hommes ayant vécu ce genre de traumatisme, afin d’éviter qu’ils ne les reproduisent eux-mêmes.
Des traumatismes, bon nombre d’hommes des TNO en seraient imprégnés. « À l’ère des écoles résidentielles, plusieurs hommes ont été victimes de violences graves, et rien n’a été fait pour les aider, souligne le sexagénaire. Personne n’a pris soin d’eux, ne les a écoutés. Plusieurs de ces hommes autochtones ont vécu dans la honte de ce qui leur était arrivé, et la violence s’est reproduite. Certains agresseurs en sont bien conscients, mais ne savent tout simplement pas quoi faire pour y remédier. Or, peu importe la situation, tout le monde peut faire le choix d’y mettre un frein. »
Selon M. Greenland, il importe de garder en tête qu’on ne nait pas violent, mais qu’on apprend à le devenir. Ce principe, à ses yeux, concerne tous les hommes. « Nous sommes tous touchés d’une façon ou d’une autre, par cette culture de violence faite aux femmes. Même si on ne se croit pas concerné, nous adoptons et normalisons les comportements que nous avons appris, et les femmes qui partagent notre vie en subissent les conséquences. Les femmes ont pourtant le droit de faire ce qu’elles veulent sans craindre de subir des attaques, lance-t-il, mais rien ne changera si les hommes ne prennent pas leurs responsabilités. »
Un problème masculin
Aux yeux de Nancy MacNeill d’une façon ou d’une autre, les hommes devront prendre ces responsabilités. « Les hommes – pas tous, pas exclusivement des hommes, mais suffisamment d’hommes pour que vous deviez lire ce qui suit – : c’est votre problème, et votre responsabilité, dicte-t-elle dans sa lettre. Nous savons que vous ne pensez pas que c’est grave à ce point. Mais ça l’est. Nous avons normalisé des gestes et des mots horribles, au point où nous ne les reconnaissons plus comme tels. »
Jay Boast compte ainsi poursuivre l’expérience et organiser plusieurs rencontres hebdomadaires, afin de bâtir, étape par étape, une stratégie permettant de cerner et de combattre cette violence sexuelle.
« En ce moment, plusieurs hommes sont persuadés que leur comportement est acceptable, et qu’ils méritent certaines choses de la part des femmes, souligne-t-il. Bref, plusieurs hommes ne réalisent pas qu’ils peuvent faire du mal. Ils pensent souvent à eux, à leurs propres sentiments, et manquent d’empathies pour les femmes qui partagent leur vie. »
« Je prends les devants aujourd’hui parce que j’ai été confronté par une amie qui m’a demandé de faire quelque chose de concret, conclut-il. Je suis une personne normale, je ne suis pas un expert ni un thérapeute, je n’ai pas d’éducation particulière en la matière, de titre qui me distingue des autres hommes du groupe. Je suis un homme qui, comme plusieurs autres hommes, veut changer les choses. »