Victoria ordonne la fin des contrôles policiers de rue

Les voitures des services de police de Victoria
Le contrôle de rue est décrié comme une forme de harcèlement à l’endroit des citoyens issus des communautés minoritaires. Photo : Radio Victoria
Angélique Germain - CILS - VictoriaBC | 21-07-2020
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Le conseil municipal de Victoria a adopté à l’unanimité ce jeudi une résolution visant à mettre fin aux contrôles de rue inopinés par les services de police ainsi qu’à la pratique du « carding ». Pratiques légales, mais entourées par un cadre juridique flou, ces méthodes sont aujourd’hui dénoncées comme participants au profilage racial et à l’aggravation du racisme systémique.

Tout a débuté la semaine dernière, avec une lettre cosignée par 73 organisations, dont l’Association de défense des libertés civiles de la Colombie-Britannique, qui appelait les différents niveaux de gouvernement à « prendre des mesures immédiates pour lutter contre la discrimination systémique dans les services de police, en mettant fin, notamment à tous les contrôles de rues.

Jeudi, en conseil municipal, quatre élus ont repris en préambule cette déclaration dans leur motion indiquant que les contrôles de rue et le profilage, par la pratique du carding, sont contraires aux priorités, aux buts et aux objectifs de la ville de Victoria.

Qu’est-ce qu’un contrôle de rue ? C’est un contrôle policier de routine qui consiste à aborder un citoyen dans la rue ou dans un véhicule pour vérifier son identité ou l’interroger, même lorsque le policier instigateur de cette interaction n’enquête sur aucun délit en particulier.

Le carding, ou profilage, intervient lorsqu’un agent demande au hasard à quelqu’un de fournir des informations d’identification lorsqu’il n’y a pas d’activité suspecte. Des informations concernant son âge, son sexe, sa profession, mais aussi et surtout son origine ethnique…

Dans les deux cas, les informations d’identification sont stockées dans une base de données de la police, où elles pourront être consultées à l’avenir.

Cette mesure est souvent décriée comme un exemple de profilage racial, discriminante et comme une forme de harcèlement à l’endroit des citoyens issus des communautés minoritaires.

En effet, si l’on se penche sur les chiffres, une brève analyse des données de vérification collectées par le département de police de Victoria entre 2007 et 2017 permet de constater que 9,9 % des personnes incluses dans les rapports de vérification de rue de VicPD étaient des Autochtones, et 2,4 % étaient des Noirs, alors que les Autochtones et les Noirs représentent respectivement 5 % et 1,4 % des populations de Victoria et d'Esquimalt.

En clair, ces groupes sont sujets à un pourcentage des contrôles de rue deux fois plus important que leur part respective de la population.

Pour le chef de VicPD, Del Manak, l’analyse des données de contrôle de rue saisies dans le système de gestion des dossiers PRIME en 2017 a effectivement constaté que 10 % des personnes contrôlées étaient des Noirs, des Autochtones et des personnes de couleur, mais il rappelle que les données du recensement de 2016 de Statistique Canada montrent que les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur représentent 18 % de la population de Victoria et d'Esquimalt.

De plus, le rapport a relevé plusieurs problèmes avec les données, notamment des incohérences parmi les agents sur ce qui constitue un contrôle de routine et le fait qu'environ 6 % des enregistrements de vérification de routine ne comprenaient pas l'appartenance ethnique d'un individu.

Aussi, on note une confusion dans l’interprétation et la définition d’un contrôle de rue selon les services de police : un rapport de janvier 2020 du service de police de Victoria définit les contrôles de rue comme “lorsqu’un agent de police mène de manière proactive un entretien sur le terrain ou une enquête avec un membre du public concernant une activité suspecte ou un crime présumé”. Soit le contraire, en substance, de la définition qui est communément admise…

Les citoyens peuvent refuser de se soumettre à un contrôle de routine, mais comme l’explique Timothy Stanley, professeur émérite à l’Institut de recherche et d’études autochtones pour l’université d’Ottawa, peu de gens le savent, et pour les rares qui font valoir leur droit, cela conduit souvent à l’escalade. La situation dégénère et alors l’officier de police procède à une interpellation.

Selon lui, il faut que le législateur se penche rapidement sur ces questions pour éclaircir le flou du cadre juridique qui existe actuellement et redéfinir clairement les droits et les termes.

Des précédents et des évolutions récentes sur ce sujet au Canada :

L’exemple le plus significatif s’est dans doute produit à Halifax, où le chef de la police a présenté des excuses publiques en 2019 à la communauté noire pour les contrôles de rue qui étaient pratiqués jusqu’à alors par les forces de l’ordre.

Ces interventions qualifiées de contrôles “de routine” ciblaient les Noirs six fois plus souvent que les Blancs.

Le gouvernement provincial a ensuite ordonné en octobre de la même année, l’interdiction des contrôles de rue en Nouvelle-Écosse.

Plus près de nous, en janvier, le service de police de Vancouver a mis en place une nouvelle politique sur la façon dont ses agents effectuent les vérifications de rue. Désormais, et cela est indiqué clairement, aucune personne ne peut être arrêtée au hasard ou uniquement en raison de sa race ou de son appartenance ethnique.

Depuis le maire de Vancouver, Kennedy Stewart, veut aller plus loin, et a annoncé qu’il déposait une motion pour mettre fin aux vérifications de rues dans la ville.

Les données sur les contrôles de rue à Vancouver qui ont été compilées entre 2008 et 2017 suggèrent que 15 % des personnes qui ont été questionnées au cours de cette période étaient autochtones, bien que les autochtones ne représentent que 2 % de la population générale.

De même, environ 4 % des personnes profilées étaient noires, alors que cette communauté représente moins de 1 % de la population de Vancouver.

Le conseil municipal de Vancouver doit donc se pencher sur une motion parfaitement identique à celle adoptée par Victoria avant la fin du mois de juillet.

Vers une révision du Police Act Britano-Colombien ?

Au milieu des contestations de plus en plus audibles réclamant une refonte — la suppression parfois — des services de police dans les différentes juridictions en Amérique du Nord, la Province a annoncé au début du mois de juillet la création d’un comité parlementaire visant à réévaluer la loi sur la police (Police Act), une loi vieille de 45 ans.

Le police Act, qui a été amendé à plusieurs reprises au cours de son histoire, est un vaste texte législatif qui recouvre beaucoup de domaines. La loi définit la politique de formation des agents et s’étend jusqu’à l’encadrement des enquêtes internes.

Mais le fonctionnement des services de police est aussi remis en cause par les municipalités elles-mêmes : les élus de Victoria, par deux fois en deux mois, ont apporté des modifications dans l’organisation de leur service de police.

Avec l’adoption du texte ce jeudi qui interdit les contrôles de rue donc, mais aussi, il y a quelques semaines, en adoptant des solutions alternatives de services de réponses d’urgence aux problèmes de toxicomanie et de santé mentale.

Une approche plus sociale que répressive, ou l’intervention des équipes de travailleurs de la santé et sociaux se substitueraient à celles des services de police.

En attendant, toujours est-il que la directrice des services de police de la Colombie-Britannique, Brenda Butterworth-Carr ; rattachée au ministère de la sécurité publique, et le chef de la police de Victoria, Del Manak, ont été invités par l’assemblé locale de Victoria à venir apporter des précisions, et ce en attendant les résultats de cette étude vaste étude parlementaire, qui devra moderniser et harmoniser, le police Act en tenant compte de tous ces enjeux.