Née à Tio'tia: ke, Montréal, Elena Stoodley, a publié le 29 octobre 2020 une lettre ouverte sur Facebook pour manifester son désaccord aux propos tenus par Dany Laferrière, membre de l'Académie française et écrivain.
Selon la chaîne, Ici Première, c'est « en direct de Paris que Dany Laferrière en avait long à dire sur le débat entourant le « mot en n » qui fait rage depuis quelques jours. Selon l'auteur, il faudrait changer notre attitude face à ce mot pour déstabiliser et désarmer le racisme. La question dont on a tant parlé se trouve d'ailleurs dans presque tous ses romans. Il l'avait par exemple commentée au début du mois, à l'occasion du 35e anniversaire de Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, avant qu'éclate l'histoire de l'Université d'Ottawa. Après une semaine de silence médiatique, il avait envie de prendre la parole à ce sujet. L'académicien aurait déclaré : «Le mot lui-même ne m’intéresse pas. C’est son trajet qui compte à mes yeux. Ce mot tout sec, nu, sans le sang et les rires qui l’irriguent n’est qu’une insulte dans la bouche d’un raciste. Je ne m’explique pas pourquoi on donne tant de pouvoir à un individu sur nous-mêmes. Il n’a qu’à dire un mot de cinq lettres pour qu’on se retrouve en transe avec les bras et les pieds liés, comme si le mot était plus fort que l’esclavage. Les esclaves n’ont pas fait la révolution pour qu’on se retrouve à la merci du «mot en N».
Quatre jours plus tard, soit le 29 octobre, Elena Stoodley, déclarait sans ambages à Dany Laferrière, « Je t'adore, mais tu me saoules ». Et j'ai peur de le dire, mais pour cette heure de dévoilement, je vais oser porter ton courage, car je ne peux égaler ta plume. Tu es né là-bas (Haïti), moi ici (Québec). Nos douleurs n'ont pas la même source. Le Québec est un nouvel amour avec qui tu te développes depuis 40 ans; pour moi il est une relation toxique à laquelle je suis mariée ».
Ces quelques mots résument bien la pensée d'Elena Stoodley. Dans son texte, elle rappelle à l'écrivain qu'ils ont en commun la culture de ses parents, tout comme lui, née à Haïti. Qu'ils partagent la même fierté (Haïti, premier pays noir à s'affranchir de l'esclavage); qu'ils portent la même couleur, mais les comparaisons s'arrêtent là. « Le Québec est un nouvel amour avec qui tu te développes depuis 40 ans, pour moi il est une relation toxique à laquelle je suis mariée. Je l'aime, mais de temps en temps il me fait ... Je sais que tu as pu lire ce mot. Mes premières années, celles qui ont construit mon fonctionnement automatique, mes terminaisons nerveuses, ont été martelées par ce mot craché par des enfants pâles. Ces maux sans préavis, lancés par des camarades de classe, entre deux leçons où l'école nous apprend, au contraire de la tienne, que nous sommes des sous-âmes. Alors ce mot, bien qu'il ait la gloire que tu lui connais, n'a pas cette force chez nous. Il nous a lancé à tout moment. Petite, car peu osent nous le dire
Elena Stoodly prenant la pose dans une cave, comme pour une performance, pied gauche sur le mur et les bras croisés. (Photo courtoisie ES)
À l'âge adulte. Seule sans défense devant nos amis, bouche bée parce que ce mot, n'est qu'un simple mot, cautionné par tonton Dany à la télé et dans ses livres. Recyclé à la table à manger par leurs parents qui ne connaissent pas Dessalines, pour blaguer ou pester. Ce mot libre et historique que des affranchis comme toi défendent.
Elena Stoodly, en plus de critiquer sévèrement, le racisme ambiant, ne demande pas l'effacement de ce mot, mais avoue qu'elle n'a pas la capacité de panser les blessures de son enfance. J'ai été programmée, dit-elle à y sursauter, chaque fois qu'il émane de la bouche de ceux qui nous déshumanisent depuis des siècles et des siècles, ceux pour qui ce mot n'a jamais eu de conséquence.
Dans ce texte, Elena porte à l'attention de ses lecteurs des réseaux sociaux qu'elle n'avait que ses bras pour se défendre. Qu'à chaque fois, qu'elle entendait ce mot, elle se retrouvait dans le bureau de la directrice, écartée des autres. Qu'écrire ce texte la saoule et souligne du même coup à Dany Laferrière, sa maîtrise de cette langue coloniale. «Je n'aurai peut-être jamais les mots pour te faire comprendre toi, mon tonton «N» libre par extension, que nous ne sommes pas obligés de vivre la même histoire pour nous comprendre. Pour nous entendre et pour respecter nos divergences d'histoire». Elena Stoodley termine en avouant à l'académicien qu'en dépit de tout «Je t'adore». Toutefois, le questionnement n'est jamais trop loin; «mais est-ce que tu nous aimes, toi comme tu aimes les mots?»
Ce texte a été écrit en 53 minutes, affirme-t-elle. Son pari dès le départ, répondre à Dany Laferrière en une heure.
Rappelons qu'Elena Stoodly est chanteuse, autrice-compositrice et conceptrice sonore. En plus de se consacrer à l'organisation communautaire; elle joint souvent sa passion pour la justice sociale et la libération des personnes noires à ses pratiques artistiques. Elena Stoodley a étudié la création littéraire et la musique électroacoustique et a interprété sa musique à l'international, notamment au Cameroun et en République démocratique du Congo. Elle donne parfois des ateliers ou des consultations sur les pratiques de travail anti-oppressif et d'inclusion intersectionnelle. Son travail de conception sonore le plus récent a été montré dans les pièces de théâtre, The Mountaintop, the Rootless tree, Manman LaMer, Black Out (nominé pour conception sonore exceptionnelle aux META's - Montreal English Theatre Awards) et travaille actuellement sur Habibi’s Angel's avec la compagnie de théâtre Talisman.
Elena Stoodly était membre du groupe de protestation, le Comité de résistance du SLAV. Elle avait été embauchée comme consultante par Lepage et Bonifassi, pour les aider à régler et à peaufiner les problèmes inhérents à la pièce.
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Communauté, Culture
«Tu as quitté ton malheur. Je n’en suis jamais sortie», écrit Elena Stoodley à Dany Laferrière
Née à Tio'tia: ke, Montréal, Elena Stoodley, a publié le 29 octobre 2020 une lettre ouverte sur Facebook pour manifester son désaccord aux propos tenus par Dany Laferrière, membre de l'Académie française et écrivain.
Selon la chaîne, Ici Première, c'est « en direct de Paris que Dany Laferrière en avait long à dire sur le débat entourant le « mot en n » qui fait rage depuis quelques jours. Selon l'auteur, il faudrait changer notre attitude face à ce mot pour déstabiliser et désarmer le racisme. La question dont on a tant parlé se trouve d'ailleurs dans presque tous ses romans. Il l'avait par exemple commentée au début du mois, à l'occasion du 35e anniversaire de Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, avant qu'éclate l'histoire de l'Université d'Ottawa. Après une semaine de silence médiatique, il avait envie de prendre la parole à ce sujet. L'académicien aurait déclaré : «Le mot lui-même ne m’intéresse pas. C’est son trajet qui compte à mes yeux. Ce mot tout sec, nu, sans le sang et les rires qui l’irriguent n’est qu’une insulte dans la bouche d’un raciste. Je ne m’explique pas pourquoi on donne tant de pouvoir à un individu sur nous-mêmes. Il n’a qu’à dire un mot de cinq lettres pour qu’on se retrouve en transe avec les bras et les pieds liés, comme si le mot était plus fort que l’esclavage. Les esclaves n’ont pas fait la révolution pour qu’on se retrouve à la merci du «mot en N».
Quatre jours plus tard, soit le 29 octobre, Elena Stoodley, déclarait sans ambages à Dany Laferrière, « Je t'adore, mais tu me saoules ». Et j'ai peur de le dire, mais pour cette heure de dévoilement, je vais oser porter ton courage, car je ne peux égaler ta plume. Tu es né là-bas (Haïti), moi ici (Québec). Nos douleurs n'ont pas la même source. Le Québec est un nouvel amour avec qui tu te développes depuis 40 ans; pour moi il est une relation toxique à laquelle je suis mariée ».
Ces quelques mots résument bien la pensée d'Elena Stoodley. Dans son texte, elle rappelle à l'écrivain qu'ils ont en commun la culture de ses parents, tout comme lui, née à Haïti. Qu'ils partagent la même fierté (Haïti, premier pays noir à s'affranchir de l'esclavage); qu'ils portent la même couleur, mais les comparaisons s'arrêtent là. « Le Québec est un nouvel amour avec qui tu te développes depuis 40 ans, pour moi il est une relation toxique à laquelle je suis mariée. Je l'aime, mais de temps en temps il me fait ... Je sais que tu as pu lire ce mot. Mes premières années, celles qui ont construit mon fonctionnement automatique, mes terminaisons nerveuses, ont été martelées par ce mot craché par des enfants pâles. Ces maux sans préavis, lancés par des camarades de classe, entre deux leçons où l'école nous apprend, au contraire de la tienne, que nous sommes des sous-âmes. Alors ce mot, bien qu'il ait la gloire que tu lui connais, n'a pas cette force chez nous. Il nous a lancé à tout moment. Petite, car peu osent nous le dire
Elena Stoodly prenant la pose dans une cave, comme pour une performance, pied gauche sur le mur et les bras croisés. (Photo courtoisie ES)
À l'âge adulte. Seule sans défense devant nos amis, bouche bée parce que ce mot, n'est qu'un simple mot, cautionné par tonton Dany à la télé et dans ses livres. Recyclé à la table à manger par leurs parents qui ne connaissent pas Dessalines, pour blaguer ou pester. Ce mot libre et historique que des affranchis comme toi défendent.
Elena Stoodly, en plus de critiquer sévèrement, le racisme ambiant, ne demande pas l'effacement de ce mot, mais avoue qu'elle n'a pas la capacité de panser les blessures de son enfance. J'ai été programmée, dit-elle à y sursauter, chaque fois qu'il émane de la bouche de ceux qui nous déshumanisent depuis des siècles et des siècles, ceux pour qui ce mot n'a jamais eu de conséquence.
Dans ce texte, Elena porte à l'attention de ses lecteurs des réseaux sociaux qu'elle n'avait que ses bras pour se défendre. Qu'à chaque fois, qu'elle entendait ce mot, elle se retrouvait dans le bureau de la directrice, écartée des autres. Qu'écrire ce texte la saoule et souligne du même coup à Dany Laferrière, sa maîtrise de cette langue coloniale. «Je n'aurai peut-être jamais les mots pour te faire comprendre toi, mon tonton «N» libre par extension, que nous ne sommes pas obligés de vivre la même histoire pour nous comprendre. Pour nous entendre et pour respecter nos divergences d'histoire». Elena Stoodley termine en avouant à l'académicien qu'en dépit de tout «Je t'adore». Toutefois, le questionnement n'est jamais trop loin; «mais est-ce que tu nous aimes, toi comme tu aimes les mots?»
Ce texte a été écrit en 53 minutes, affirme-t-elle. Son pari dès le départ, répondre à Dany Laferrière en une heure.
Rappelons qu'Elena Stoodly est chanteuse, autrice-compositrice et conceptrice sonore. En plus de se consacrer à l'organisation communautaire; elle joint souvent sa passion pour la justice sociale et la libération des personnes noires à ses pratiques artistiques. Elena Stoodley a étudié la création littéraire et la musique électroacoustique et a interprété sa musique à l'international, notamment au Cameroun et en République démocratique du Congo. Elle donne parfois des ateliers ou des consultations sur les pratiques de travail anti-oppressif et d'inclusion intersectionnelle. Son travail de conception sonore le plus récent a été montré dans les pièces de théâtre, The Mountaintop, the Rootless tree, Manman LaMer, Black Out (nominé pour conception sonore exceptionnelle aux META's - Montreal English Theatre Awards) et travaille actuellement sur Habibi’s Angel's avec la compagnie de théâtre Talisman.
Elena Stoodly était membre du groupe de protestation, le Comité de résistance du SLAV. Elle avait été embauchée comme consultante par Lepage et Bonifassi, pour les aider à régler et à peaufiner les problèmes inhérents à la pièce.
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